Número 44 (junio 2020)

Un tournant entre deux vagues ? Les archives du féminisme en France et en Espagne depuis les années 1990

 

[Versió catalana]


Núria Jornet Benito

Professeure de la Facultat d'Informació i Mitjans Audiovisuals
Universitat de Barcelona

Bénédicte Grailles

Maîtresse de conferénrences en archivistique
Université d'Angers
Temps, mondes, sociétés (Temos), CNRS

 

Résumé

Objectifs : Nous partons de l'hypothèse que nous sommes à un moment particulier de l'histoire des mémoires des féminismes, à un "tournant archivistique" pour reprendre en la détournant l'expression de Kate Eichhorn. Nos objectifs sont de redéfinir les caractéristiques de ce tournant archivistique à l'aune d'exemples de centres ou de projets de centres de ressources documentaires et archivistiques en Espagne et en France dans les années 1990–2000, de les contextualiser par rapport à l'évolution des concepts et pratiques archivistiques, et de nous interroger sur un double mouvement paradoxal entre institutionnalisation et activisme communautaire.

Méthodologie : Pour servir notre hypothèse de départ, nous avons procédé à l'élaboration d'une revue bibliographique motivée par une approche volontairement interdisciplinaire : études féministes et de genre, archivistique, French Theory, études culturelles. Nous nous sommes appuyées sur des études de cas en Espagne et en France afin d'élaborer des comparaisons pertinentes.

Résultats : Le premier constat est celui d'une continuité entre seconde et troisième vagues féministes sur la question des archives. Le second est celui d'un tournant archivistique, mais avec des caractéristiques originales : entre réactivation et intensification, entre institutionnalisation et autonomie, ces militantismes archivistiques féministes concernent le féminisme majoritaire comme les féminismes minoritaires. La mise en archives appartient plus que jamais au répertoire d'actions féministe. Le troisième constat est celui de l'existence de communautés fortement adossées à des initiatives archivistiques féministes.

Resum

Objectius: partim del supòsit que ens trobem en un moment especial de la història de les memòries sobre els feminismes, un "punt d'inflexió des del punt de vista dels arxius", fent servir l'expressió de Kate Eichhorn. Els nostres objectius són, en primer lloc, redefinir les característiques d'aquest gir en el món dels arxius analitzant exemples de centres o de projectes de centres de recursos documentals i arxivístics d'Espanya i de França entre les dècades del 1990 i del 2000; en segon lloc, posar-los en context en relació amb l'evolució de conceptes i pràctiques arxivístics i, en tercer lloc, plantejar-nos si hi ha un doble moviment paradoxal entre institucionalització i activisme comunitari.

Metodologia: per poder respondre a la nostra hipòtesi de partida, hem revisat la bibliografia d'acord amb un enfocament volgudament interdisciplinari: estudis feministes i de gènere, estudis arxivístics, French Theory, estudis culturals. Ens hem basat en estudis de casos a Espanya i a França per poder fer comparacions rellevants.

Resultats: la primera observació que podem fer és que hi ha una continuïtat entre la segona i la tercera onades feministes amb relació a la qüestió dels arxius. La segona és que hi ha un gir en el món dels arxius, però amb característiques originals: entre la reactivació i la intensificació, entre la institucionalització i l'autonomia, aquests activismes arxivístics feministes tenen a veure tant amb el feminisme majoritari com amb els feminismes minoritaris. L'arxivatge pertany més que mai al repertori d'accions feministes. La tercera observació és l'existència de comunitats que tenen un gran suport d'iniciatives arxivístiques feministes.

Resumen

Objetivos: partimos de la hipótesis que estamos en un momento especial en la historia de las memorias sobre feminismos, un "punto de inflexión desde el punto de vista de los archivos", utilizando la expresión de Kate Eichhorn. Nuestros objetivos son, en primer lugar, redefinir las características de este giro en el mundo de los archivos analizando ejemplos de centros o proyectos de centros de recursos documentales y archivísticos en España y Francia entre las décadas de 1990 y 2000; en segundo lugar, ponerlos en contexto en relación con la evolución de conceptos y prácticas archivísticas y, en tercer lugar, plantearnos si existe un doble movimiento paradójico entre institucionalización y activismo comunitario.

Metodología: para responder a nuestra hipótesis inicial, se ha realizado una revisión bibliográfica motivada por un enfoque intencionadamente interdisciplinario: estudios feministas y de género, estudios archivísticos, French Theory, estudios culturales. Nos hemos basado en estudios de casos de España y Francia para poder realizar comparaciones relevantes.

Resultados: la primera observación es que existe una continuidad entre la segunda y la tercera ola feminista en relación con la cuestión de los archivos. La segunda es que existe un giro en el mundo de los archivos, pero con características originales: entre la reactivación y la intensificación, entre la institucionalización y la autonomía, estos activismos archivísticos feministas se refieren tanto al feminismo mayoritario como a los feminismos minoritarios. La archivación pertenece más que nunca al repertorio de acciones feministas. La tercera observación es la existencia de comunidades fuertemente respaldadas por iniciativas archivísticas feministas.

Abstract

Objectives: Our starting-point is the idea that we are at a decisive moment in the history of memories of feminisms; an "archival turn", to use Kate Eichhorn's expression. Our objectives are, first, to redefine the characteristics of this archival turn by analysing examples of centres, and the projects of documentary and archival resource centres, in Spain and France in the 1990s and 2000s; second, to contextualized them regarding the evolution of archival concepts and practices, and third, to consider whether there is a dual paradoxical movement between institutionalization and community activism.

Methodology: To test our starting hypothesis, we review the literature applying a strongly interdisciplinary approach: feminist and gender studies, archival studies, French Theory, and cultural studies. We base ourselves on case studies in Spain and France in order to make relevant comparisons.

Results: The first observation we should make is that there is a continuity between the second and third feminist waves in relation to the issue of archives. The second is that there is a turn in the world of archives, but with original features: between reactivation and intensification, between institutionalization and autonomy, these feminist archival activisms have to do with both majority and minority feminisms. Exploring archives belongs more than ever to the repertoire of feminist actions. The third observation is the existence of communities that are heavily supported by feminist archival initiatives.

 

1 Présentation

Depuis le début des années 2000, il est question dans divers domaines de l'existence d'un tournant archivistique (Simon, 2002 ; Morris, 2006 ; Moore [et al.] 2016) marqué par la prise en main de l'archivage par les acteurs hors des institutions traditionnelles, l'existence de pratiques d'auto-archivage, et un archivage en temps réel dans une logique de remobilisation et de conception vivante du passé (Lemay ; Klein, 2014). Kate Eichhorn a importé en 2014 ce concept résolument postmoderne dans le militantisme féministe américain en revendiquant un archival turn in feminism. Pour elle, ce tournant est une nouvelle forme de militantisme associée à un empowerment communautaire. Ses idées s'inscrivent dans le courant de la French Theory, largement investi par les spécialistes académiques et les archivistes de terrain, à partir de laquelle la notion d'archives communautaires a été développée. Nous avançons l'hypothèse qu'il existe bien un tournant archivistique dans les années 1990–2000, mais que ses caractéristiques méritent d'être discutées et approfondies. Nous nous proposons de les examiner à partir d'exemples de centres ou de projets de centres de ressources documentaires et archivistiques en Espagne et en France, de les contextualiser par rapport à l'évolution des concepts et des pratiques archivistiques, et de nous interroger sur un double mouvement paradoxal entre institutionnalisation et activisme communautaire. Nous nous appuierons principalement sur deux centres : Ca la Dona (Barcelone) et le Centre des Archives du Féminisme (CAF) (Angers).

 

2 Une fabrique des archives en évolution

Parler de fabrique des archives, c'est s'interroger sur les déterminants politiques, économiques, culturels ou sociaux qui interagissent dans la construction des fonds et des collections d'archives. Dans le cas présent, au début des années 1990, la fabrication des archives féministes s'inscrit dans un lent et ancien processus que la philosophie postmoderne vient renouveler tant du point de vue des concepts que de celui de la pratique.

 

2.1 Les archives féministes avant les années 1980

La chronologie du mouvement féministe nous permet de décrire ce qui peut déjà être considéré comme une histoire des centres de documentation, des archives et des bibliothèques de femmes et de la mémoire du féminisme. Bien que notre objectif ne soit pas de retracer de manière approfondie la position des différents centres à l'aune de la périodisation du mouvement féministe (vagues féministes) – aspect qui a déjà été traité dans d'autres études (Jornet ; Tuset, 2016) –, nous souhaitons néanmoins définir quelques jalons et caractéristiques qui permettront de brosser le contexte à partir duquel nous analyserons la décennie 1990–2000. Nous nous centrerons spécifiquement sur ce qui se passe en Espagne et en France. Si notre étude porte sur les centres collectant des fonds d'archives féministes, nous ne pouvons faire l'économie d'une appréhension plus globale incluant les centres de documentation et les fonds documentaires, l'archivage et la documentation étant des activités partagées résultant de la même volonté militante d'accumuler preuves et sources, et présentant, dans ce contexte, une forte perméabilité.

Pour commencer, c'est un constat d'évidence que, peu après l'émergence de mouvements féministes organisés à la fin du xixe siècle, les féministes prennent conscience de la valeur de la documentation et essaient de collectionner des documents, de former des archives et de les rendre accessibles. On peut penser ici à des projets, tels que celui de la London Society for Women's Services qui crée en 1926 The Women's Library à Londres, et peu après, en 1935, à l'initiative de trois femmes qui fondent à Amsterdam l'International Archives for the Women's Movement (IAV) – aujourd'hui Atria – dans l'objectif de préserver le patrimoine culturel des femmes et, en même temps, du mouvement féministe. Les deux centres sont représentatifs de ce qu'on nomme la première vague du féminisme ; l'un et l'autre ont perduré jusqu'à nos jours : le premier est un centre de documentation rattaché à la recherche universitaire ; le second, un service d'information et de référence spécialisé en genre. La deuxième vague du féminisme, de la fin des années 1960 à 1980, voit la création d'autres centres qui prennent naissance autour des groupes de femmes et d'associations féministes avec un tropisme net d'activisme politique, de production culturelle et de désir de visibilité dans l'espace public (bien qu'il existât en même temps une volonté de marquer une séparation en créant des espaces exclusivement féminins). Ce sont des centres (archives, bibliothèques) fondés souvent en concurrence avec d'autres projets féministes, comme les librairies des femmes ou les maisons d'éditions féministes, et avec plus ou moins d'autonomie vis-à-vis des structures publiques de la documentation et du patrimoine. L'Italie est un bon exemple de cette catégorie, avec des centres encore existants aujourd'hui, comme le Centro di Documentazione, Ricerca e Iniziativa delle Donne della Città di Bologna (qui inclut la Biblioteca Italiana delle Donne) ou la Fondazione Elvira Badaracco à Milan, qui prend la suite du Centro di Studi Storici sul Movimento di Liberazione della Donna in Italia. Au cours de la deuxième vague, on assiste aussi à la création de centres par des structures gouvernementales dont le champ de compétence est autour de l'égalité ; bibliothèques et centres de documentation naissent également à la suite du développement des women's gender studies dans les universités et les centres de recherche académiques.

La France et l'Espagne suivent ces périodisations et caractérisations trop brièvement résumées, bien que, dans le cas espagnol, on doive tenir compte de la rupture et de la paralysie des projets et des initiatives émancipatrices, des droits et de la culture des femmes que suppose la dictature franquiste. Dans les deux pays, il existe des centres caractéristiques de la première vague, grâce à l'action de deux femmes aux profils très différents : Francesca Bonnemaison (1872–1949), qui, inspirée par un féminisme social et réformiste, à la base catholique, fonde en 1909 la Biblioteca Popular de la Dona, et un an après, l'Institut de Cultura, avec l'objectif d'offrir une formation aux femmes des classes populaires (Segura, 2007) ; Marguerite Durand (1864–1936), directrice de La Fronde, qui a commencé très tôt à rassembler et à conserver des documents sur les femmes et le féminisme, collections qu'elle lègue à la mairie de Paris en 1931, à la condition de créer une bibliothèque spécialisée en histoire des femmes et féminisme. En tout cas, comme Christine Bard (Bard ; Metz ; Neveu, 2020) l'a analysé, il existe, en France et jusque dans les années 1960, des initiatives isolées et volontaires de femmes, militantes de la cause des archives et de la documentation féministe, initiatives souvent individuelles, non professionnelles et disposant de peu de ressources propres, le tout dans un contexte marqué par un faible intérêt pour cette mémoire de la part d'institutions et de centres patrimoniaux tels que la Bibliothèque ou les Archives nationales. Il faut ajouter qu'il n'y a pas encore de demande sociale suffisamment assise pour accompagner cette action militante de documentation et de la mémoire. Il faut attendre la fin des années 1960, moment où, en France, et dans la plupart des pays européens et aux États-Unis, les mouvements féministes investissent avec force l'espace public et la culture, pour la voir émerger. Tout au long des années 1970, le Mouvement de libération des femmes (MLF) réactive le mouvement féministe français. C'est le moment, par exemple, où l'ancienne Bibliothèque Marguerite Durand retrouve un public intéressé et commence à recevoir aussi quelques fonds de cet héritage féministe. Dans la lignée des espaces associatifs féministes italiens qui ont aussi des archives et qui fondent des bibliothèques des femmes, apparaît à Paris en 1981 la Maison des Femmes, qui accueille de nombreuses associations et groupes des femmes, un centre de documentation, et, à partir de 1992, les Archives, Recherches et Cultures Lesbiennes.

En Espagne, la résurgence du mouvement féministe se situe dans les années 1970, surtout à partir de 1975, quand il se combine avec d'autres mouvements sociaux qui explosent au moment de la transition démocratique. Des grandes mobilisations, comme les Jornadas Nacionales por la Liberación de la Mujer (1975) à l'échelle nationale, ou une année plus tard, les Primeres Jornades Catalanes de la Dona, célébrées à l'auditorium de l'Universitat de Barcelona, représentent des jalons significatifs pour la reconnexion avec le mouvement international féministe. En ce qui concerne les archives et les centres de documentation, il faut attendre les années 1980 et surtout la décennie suivante pour voir émerger deux types d'expériences : l'une plus liée au mouvement féministe et aux associations de femmes ; l'autre, plus institutionnalisée et majoritaire, autour des organismes dotés de compétences en matière de politiques publiques d'égalité (Frías, 2014), et de structures de recherche académiques et universitaires autour des women's studies (Argente, 2007).

 

2.2 Postmodernisme et archives

La réflexion sur les archives féministes est directement liée au constat de l'invisibilité des femmes dans les archives. Cette question de la trace et de l'articulation entre traces et archives n'est pas nouvelle. Elle fait l'objet de puissants renouvellements à partir des années 1960, tant d'un point de vue conceptuel avec les écrits de Michel Foucault et de Jacques Derrida, et les considérations sur la condition postmoderne, que dans l'exercice du métier d'archiviste et les différentes étapes de la mise en archives.

Foucault définit l'archive (au singulier) comme le "système général de la formation et de la transformation des énoncés" (Foucault, 1969, p. 171). Il propose de l'inscrire dans une réflexion sur le visible, le dicible, le dire et le voir. Dans ce contexte, la mise en archives se présente comme un outil de véridiction historique (Devriese, 2014), un instrument de la puissance publique déterminé à servir sa propre histoire, dépositaire de la vérité et condition d'accès à celle-ci.

Derrida, dans Mal d'archive. Une impression freudienne (Derrida, 1995), appréhende l'archive à l'aune de la psychanalyse. Le "mal d'archive" est l'effacement des traces, leur refoulement, qui se traduit par le maintien dans l'inconscient de certaines représentations, une pulsion de mort à l'échelle de la société. L'archive d'un événement est tout à la fois tout ce qui documente cet événement, la mémoire de cet événement et les usages de ce passé.

Dans les deux cas, derrière l'archive, ce qui est interrogé est le système de sélection du passé. Si on peut légitimement penser que cette approche s'intéresse à un objet différent de celui communément appelé "archives" (au pluriel), il n'en reste pas moins que Derrida lui-même a reporté sa théorie sur l'institution archivistique, s'interrogeant sur le pouvoir de consignation et sur les personnes qui le mettent en œuvre. Ce pouvoir – un pouvoir de maîtrise des traces et d'interprétation qu'il nomme pulsion d'archive – contribue à la destruction des traces en opérant une sélection et un montage. "L'archiviste n'est pas quelqu'un qui garde, c'est quelqu'un qui détruit" (Derrida, 2014) et qui conserve ce qu'il estime devoir être répété. En somme, en opérant un tri, l'archiviste ampute une partie du futur d'un groupe de personnes donné.

De nombreux écrits d'archivistes et de chercheurs mobilisent la French Theory et développent ses conséquences sur les théories et pratiques archivistiques (Cook ; Hernández Olivera, 2007).1 Terry Cook fait d'ailleurs explicitement le lien avec les féministes comme exemple de groupe marginalisé (Cook ; 2001, pp. 16–17). Tous insistent tant sur la responsabilité de l'archiviste que sur le pouvoir des archives. Au-delà, la fin des métarécits modernes – émancipation et universalité – conduit à une fragmentation de la société et de l'individu, et ouvre la voie à un intérêt partagé pour les archives personnelles.

 

2.3 La réévaluation des archives personnelles

Au cours de ces dernières décennies, les archives personnelles ont connu une forte revitalisation à la fois grâce aux recherches qui les considèrent comme une source primaire significative, et aussi grâce aux centres patrimoniaux et institutions de la mémoire susceptibles de les collecter et de les diffuser. Une valeur qui pourrait s'expliquer, pour commencer, parce qu'elles intègrent des matériaux divers et singulièrement la documentation la plus personnelle et intime (correspondance, mémoires, journaux) – ce que Sue McKemmish a appelé "evidence of me" (McKemmish, 1996) –, mais aussi la documentation plutôt liée au profil professionnel (académique, scientifique) du sujet. De plus, leur valeur historiographique a augmenté parallèlement à l'intérêt porté aux récits de vie, grâce aux témoignages individuels qui, du fait de la diversité des environnements sociaux et culturels, pourraient fournir une vision "autre" de ce que les archives publiques peuvent offrir, en complétant et en enrichissant la compréhension d'un moment ou d'un fait historique.

Très souvent, la conservation des fonds personnels est la résultante de choix individuels, familiaux ou du hasard et, dans certains cas, d'actions collectives. C'est encore plus évident dans le cas des fonds personnels de femmes (Barrera, 2006). En plus, comme nous l'avons appris de la pensée postmoderne, l'archive n'est pas un fait "neutre", mais elle est influencée par les processus sociaux et politiques. Dans ce contexte, la dimension sexuelle joue un rôle important, c'est-à-dire que l'asymétrie qui caractérise la position de la femme vis-à-vis du pouvoir a déterminé une production documentaire réduite, et par conséquent une moindre présence dans les archives, du moins dans celles qui sont produites dans le cadre de l'exercice du pouvoir public (Giuva, 2014, p. 46). Depuis les années 1990, avec une consolidation dans les années 2000, on assiste à un changement de tendance qui conduit à un intérêt accru pour les archives des femmes, avec le renforcement de l'historiographie des femmes et du genre qui concernent à la fois les quelques centres d'archives publiques, mais aussi des centres de documentation issus du mouvement féministe ou des associations de femmes qui désirent collecter et conserver leur mémoire, les souvenirs personnels (également oraux) de leurs militantes pour compléter la mémoire collective et combler les silences de l'histoire.

La situation à la fin des années 1980 peut ainsi être caractérisée à la fois par l'existence de bibliothèques dont la spécialisation documentaire et les réseaux sont bien établis et par la permanence de centres d'archives pour l'essentiel hérités de la première vague, dans un contexte d'intérêt croissant pour les archives personnelles et une prise de conscience de l'importance politique et identitaire de la constitution de collections archivistiques.

 

3 Des archives communautaires ?

La création de nouveaux centres d'archives féministes ou la réactivation de centres plus anciens sont aussi la manifestation de la volonté des premières intéressées, elles-mêmes prises dans des contradictions qui s'accentuent dans les années 2000, entre autonomie et institutionnalisation, entre le féminisme égalitaire et les autres courants des féminismes. Une approche plus globale fait émerger un mouvement de fond : celui des archives dites communautaires. Les centres créés dans les années 1990 s'inscrivent-ils dans cette approche ? Nous nous interrogerons à partir de deux exemples : Ca la dona de Barcelone et le Centre des Archives du Féminisme d'Angers.

 

3.1 Les archives communautaires

"Archives communautaires" ou "community archives" est une expression qui s'est généralisée depuis les années 2000 dans le monde anglo-saxon (Bastian ; Ben, 2009 ; Caswell, 2014 ; Cook, 2013 ; Flinn, 2007 ; 2010 ; 2011a,b), avant d'être réinvestie en France (Marcilloux, 2013) et en Espagne (Ruiz Gómez, 2016). Les archives de communauté ont émergé sui generis dès les années 1970 dans le contexte de la reconnaissance du caractère identitaire spécifique de minorités raciales – autochtones ou non. Elles se sont étendues dans les années 1980 aux minorités sexuelles. Elles rassemblent aujourd'hui, dans une acception large, divers centres de consignation de la mémoire de toutes sortes de groupes sociaux au point que l'archiviste et universitaire Andrew Flinn parle d'un mouvement des archives communautaires (Flinn, 2011a). Pour définir les centres d'archives communautaires, trois conditions sont nécessaires : les archives doivent documenter l'histoire d'un groupe social qui se revendique lui-même comme communauté ; les opérations de collecte, de conservation et de mise en valeur doivent être prises en charge de manière significative par la communauté, laquelle s'appuie ou pas sur des institutions et des financements publics ; la conservation doit être motivée par une valeur particulière pour la communauté autre que le simple loisir. Les communautés auto-revendiquées qui prennent en charge un projet d'auto-archivage affichent généralement un certain refus des concepts et pratiques professionnels prônant une auto-formation au métier d'archiviste et une transmission interne. L'accès aux archives peut être restreint aux seuls membres de la communauté et aux documents sous embargo. À l'extrême, des archives privées et autogérées apparaissent à certains comme une réponse légitime à la violence archivale institutionnelle qui participe de leur invisibilité.2 En sélectionnant des objets représentatifs d'une mémoire collectivement constituée et façonnée par des enjeux identitaires, ils se créent un patrimoine propre. Il s'agit de constituer des collections à forte valeur émotionnelle (Gilliland ; Flinn, 2013) pour documenter activement sa propre histoire (Flinn ; Stevens ; Shepherd, 2009). L'archivage agit comme une légitimation et une manière de penser son passé et son présent différemment (Eichhorn, 2014).

 

3.2 L'institutionnalisation du féminisme dans les milieux académiques et documentaires

Les années 1970–2000, si elles sont propices à l'émergence de centres nouveaux postérieurement étiquetés comme communautaires, sont aussi décisives dans l'installation d'un féminisme institutionnel dans tous les champs : politique, académique, documentaire.

Le féminisme d'État émerge en France comme en Catalogne, aussi bien que dans l'État espagnol, dans les années 1980 avec des organismes comme l'Instituto de la Mujer (1983), l'Institut Català de la Dona (1989) (Palomares Arenas ; Garcia Grenzner, 2012, p. 20) ou la création du ministère des Droits de la femme français (1981). Parallèlement, on voit apparaître des usages politiques du passé des femmes (Bard, 2006 ; Charpenel, 2014, pp. 212–218). Si les études sur les femmes et leur histoire commencent timidement en France dans le milieu des années 1970, elles rejoignent le champ académique au milieu des années 1980 : trois postes d'études féministes sont créés à l'initiative de la ministre socialiste Yvette Roudy, et l'équipe de recherche Simone se constitue et déploie les études de genre de la licence au doctorat. La chronologie en Espagne n'est pas essentiellement différente : le centre Duoda est créé dès 1982 et le premier master voit le jour en 1988. Mais en France comme en Espagne, la reconnaissance académique des études féministes ne s'affirme pleinement qu'au début des années 2000.

Une chronologie proche peut être observée du côté des milieux documentaires (Jornet ; Tuset, 2016), même s'il faut noter que l'institutionnalisation des archives et documentations féministes est peu homogène à l'échelle européenne. Pour autant, l'interaction entre le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche et les milieux documentaires est souvent décisive (Bard, 2006 ; Charpenel, 2018). Dans les années 1980, en Europe, on peut observer une appropriation des problématiques féministes et de genre par les milieux documentaires (Jornet ; Tuset, 2016). Bibliothèques et centres de documentation mènent une réflexion sur le langage et l'indexation, s'organisent en réseaux, réfléchissent à l'intégration d'un catalogue national ou préfèrent bâtir un catalogue spécialisé avec un thesaurus particulier. La France reste relativement en retrait de ce mouvement pourtant mondial sur la performativité du langage de description, alors que le développement des théories féministes et du genre transforme la praxis documentaire dans de nombreux pays. Ainsi, en Espagne, un réseau spécialisé – Red de Centros de Documentación y Bibliotecas de Mujeres – très actif voit le jour en 1994 regroupant des centres de documentation d'organismes liés au féminisme d'État, des bibliothèques de centres de recherche et des bibliothèques associatives. Il maintient le vocabulaire de référence, adapté du thésaurus européen des femmes depuis 1998. Aussi peut-on dire que l'Espagne a connu un tournant bibliothéconomique féministe dans les années 1990.

Ces dernières années, les archives publiques semblent vouloir investir le terrain occupé jusque-là par des initiatives associatives et militantes, notamment du côté de la collecte des archives de femmes, marquant une nouvelle étape dans l'institutionnalisation de la thématique. En accord avec une société de plus en plus sensible à la question des femmes et au féminisme, diverses initiatives voient le jour en Espagne. On peut citer la Comisión de Igualdade do Consello da Cultura Galega depuis 2007 qui soutient des journées et rapports sur les thématiques archives, femmes et féminisme (Informe sobre os arquivos públicos en Galicia. Unha perspectiva de xénero e feminista, 2017) et qui est à l'origine du projet de Centro de Documentación en Igualdade e Feminismos (2019), ou le projet collaboratif "Archivos de Feminismos de León" (2013). La demande d'institutionnalisation reste d'actualité. En Espagne, certains professionnels appellent de leurs vœux la création d'un centre d'archives féministes (Codina ; San Segundo, 2016). L'intérêt des archivistes de métier a de son côté progressé au fil du temps, ce dont témoignent des publications récentes (Tabula. Monográfico : Memoria y deseo. Sexo y género en el archivo, 2017 ; La Gazette des Archives. Monographique : Archives et transparence, une ambition citoyenne, 2019), mais aussi des tentatives de collecte plus ou moins couronnées de succès. On peut citer ici la "Grande Collecte sur les femmes et le travail", initiée par le Service interministériel des Archives de France et relayée par une partie des archives départementales et par les Archives nationales françaises3 ou les collectes participatives pour la Memòria Digital de Catalunya qui a impliqué 46 services d'archives et 35 bibliothèques en Catalogne. La question LGBTQI+ est venue complexifier un peu plus le paysage archivistique militant. Elle se concrétise par une forte pression sur les pouvoirs publics pour faire sortir de terre des centres ouvertement communautaires : on peut citer à Barcelone l'inauguration en 2018 du Centre LGBTI, un équipement municipal qui intègre le Centre de Documentació Armand de Fluvià (bibliothèque, hémérothèque, vidéothèque et archives historiques de Casal Lambda, un centre associatif né en 1976, avec pour objectif de normaliser le fait homosexuel), premier centre du genre en Espagne ; on peut aussi penser au Collectif Archives LGBTQI parisien qui milite depuis de nombreuses années pour l'ouverture d'un centre équivalent à Paris, avec un succès moindre.

Pour mieux cerner les enjeux entre institutionnalisation et communautarisation des archives, deux exemples de centre peuvent nous éclairer.

 

3.3 Ca la Dona

L'association Ca la Dona est née à la fin des années 1980, dans un contexte de réinvestissement de la tradition féministe après la dictature franquiste, et d'une des revendications les plus originales du féminisme de la deuxième vague : la création d'espaces exclusivement féminins, qui s'inscrivent dans l'espace public et commun (Spain, 2016). En fait, la gestation de Ca la Dona débute le 19 mars 1987 quand, après d'infructueuses négociations avec la mairie de Barcelone, un groupe de femmes occupe un local municipal au quartier Poble Sec (Ca la Dona, 1997). Peu de temps après, la reprise des discussions avec la mairie et la médiation d'Enrica Mata, conseillère, font émerger une solution et, en juin 1988, voient l'inauguration de Ca la Dona. Son objectif principal : être un espace ouvert pour les femmes et une référence pour le mouvement féministe de Barcelone. C'est sans doute ce désir de trouver un "espace propre" qui est l'un des moteurs du groupe. Ainsi, en 2003, elles reprennent un "llarg camí de recerca d'una nova casa", en lançant un appel à la solidarité à l'ensemble de la société et en sollicitant l'implication des différents mouvements et groupes de femmes pour le "projecte Ripoll", démarche qui aboutit à l'inauguration en 2012 d'un nouveau siège social, rue Ripoll, dans un édifice patrimonial appartenant à la municipalité.

L'intérêt pour les archives, pour sa mémoire propre, ainsi que la prise de conscience d'un manque d'archives et de l'absence de centres publics spécialisés s'éveillent très tôt. Tout au long des années 1990, les femmes de Ca la Dona décident de collecter l'histoire du mouvement féministe et de créer une bibliothèque spécialisée sur la place et le rôle des femmes et du féminisme, sous le nom d'Associació Biblioteca-Videoteca de la Dona (Tuset, 2013). Depuis lors, leurs objectifs sont les suivants : "conservar la memòria del moviment feminista català, facilitar el coneixement i promoure la investigació per elaborar una història no androcèntrica, conservar documents i llegats d'autoria femenina" (paroles de Mercè Otero, membre de Ca la Dona et une des références historiques de la lutte féministe en Catalogne, lors de la visite des auteurs de cet article, 26/10/2019). Actuellement, Ca la Dona abrite des fonds et documents uniques, d'une grande valeur testimoniale et historique : les fonds d'archives (le fonds de l'association, ceux d'autres entités et de groupes de femmes attachés au centre, et des fonds personnels) et la collection des bibliothèques et du centre de documentation (monographies et œuvres de référence, publications périodiques, archives photographiques, collection d'affiches et de banderoles, collections d'éphémères). Son centre de documentation est l'un des rares centres issus du mouvement féministe associatif accueillant des fonds d'archives tout en maintenant un traitement spécifique et différencié entre les documents d'archives et le matériel documentaire et de bibliothèque (Codina, 2016). Les objectifs du Centre de Documentació font partie intégrale des projets pour lesquels Ca la Dona soumet des demandes de subvention à des institutions publiques, telles que la mairie de Barcelone ou l'administration autonome.

Une commission spécifique, la Comissió del Centre de Documentació, est chargée de la gestion et du traitement de la documentation. Sa caractéristique identitaire est de s'appuyer sur le travail des bénévoles, ainsi que sur l'expertise en matière d'archives et de bibliothèques de certains de ces membres. Les fonds s'accroissent grâce aux dons et aux contributions des membres associés et des amies, et il n'y a pas une politique explicite de collecte et d'entrée des fonds. Sont conservés les archives historiques produites par Ca la Dona depuis les années 1980 et les archives administratives, les fonds d'archives des collectifs (LESBOS, CEDIS, LICIT, Projecte VACA, Vocalies de Dones dels Barris de Barcelona, etc.) ou de groupes de femmes qui font ou ont fait partie de Ca la Dona (Xarxa Feminista, Daia, Dones per Dones, etc.), ainsi que des fonds personnels des membres ou amies (Gretel Ammann, Encarna Sanahuja, Júlia Cabaleiro, etc.). Le Grup d'Història Oral a lancé en 1999 un projet de création d'archives orales féministes comportant des enregistrements et transcriptions de récits de vie de femmes plus âgées, avec l'objectif de "donar autoritat a la narració de la vida de les dones que transformaren la societat des del feminisme i foren transformades personalment" (Otero-Vidal, 2007) et de les transmettre aux générations suivantes. Ce projet est en accord avec ce que d'autres centres d'archives féministes proposent, comme celui de Egodocuments développé par le centre hollandais Atria. Institute on Gender Equality and Women's History, un centre né dans la première vague. Le Centre de Documentació de Ca la Dona a été intégré depuis 2008 à la Red de Centros de Documentación y Bibliotecas de Mujeres, ce qui lui permet de partager des éléments de traitement documentaire (thesaurus ou d'autres outils d'indexation), des instruments (catalogue collectif de publications périodiques), d'obtenir une plus grande visibilité, et de rendre plus accessible l'héritage bibliographique et documentaire à l'ensemble de la société comme dans le contexte spécialisé des études sur les femmes. En résumé, elle fait partie d'un réseau avec d'autres centres ayant des intérêts et des objectifs similaires. À mi-chemin entre institutionnalisation complète impliquant la professionnalisation de la gestion et bénévolat, entre autonomie et intégration dans des structures documentaires (telles que la Red de Centros de Documentación y Bibliotecas de Mujeres), entre auto-suffisance et demande d'aides publiques, Ca la Dona a maintenu son engagement politique et sa place dans la topographie féministe de Barcelone et du pays.

 

3.4 L'association Archives du Féminisme et le Centre des archives du féminisme

L'association Archives du Féminisme comme le Centre des archives du féminisme (CAF) d'Angers voient le jour en 2000 (Grailles, 2011 ; 2012). L'association est créée par Christine Bard, enseignante-chercheuse à l'université d'Angers, spécialiste de l'histoire des femmes et du féminisme, pour trouver un lieu d'accueil au fonds Cécile Brunschvicg, présidente de l'Union française pour le suffrage des femmes, ministre du Front populaire (1936), de retour de Moscou.4 Archives du Féminisme n'a pas pour vocation première ni unique de conserver des fonds d'archives. Son objectif est de pallier les pertes mémorielles en fédérant les différents activismes associatifs et personnels autour de la cause des femmes et en créant un réseau au service du recueil de sources et de l'écriture de l'histoire. Il s'agit tout autant de repérer les fonds, de leur trouver un lieu de conservation adéquat, de créer des archives orales, que d'être un lieu d'expression et de dissémination de la recherche. Devant le peu d'espaces de conservation possibles et leur saturation,5 l'association entreprend de se doter d'un lieu d'accueil et spontanément se tourne vers l'université d'Angers où elle trouve un contexte favorable : une bibliothèque universitaire (BUA) ouverte aux fonds spécialisés, une formation aux métiers des archives, des enseignements en histoire des femmes intégrés au cursus d'histoire. Archives du Féminisme regroupe trois types de membres : des membres issus du milieu académique, des militantes féministes, des personnes issues des milieux documentaires. Elle a constitué un double réseau, académique et de centres de ressources, et s'est dotée d'instruments puissants de diffusion (un bulletin, une collection aux Presses universitaires de Rennes Archives du Féminisme, des colloques, etc.). Par la voix de sa présidente, elle revendique pleinement une position non communautaire, rejetant "une approche communautarisée de l'histoire" (Bard ; Metz ; Neveu, 2006, p. 13).

En moins de vingt ans, le CAF a accueilli 325 ml d'archives et 65 fonds d'archives personnelles ou d'association (chiffres de 2018).6 Le centre présente des particularités originales dans le paysage archivistique français, à commencer par son adossement universitaire.7 La BUA assure la conservation et la communication matérielle des fonds, ainsi que la diffusion des instruments de recherche via une plateforme d'encodage mutualisée, le Catalogue en ligne des archives et des manuscrits de l'enseignement supérieur (Calames), elle-même accessible par le moteur de recherche du Catalogue collectif de France (CCFr). La gestion administrative, les demandes de reproduction ou de prêt pour exposition sont prises en charge par la BUA. Les fonds sont presque toujours classés par les étudiants de la formation Archives en suivant les normes internationales sans adaptation particulière. La BUA a par ailleurs développé une politique d'acquisition d'imprimés autour des thématiques femmes et féminisme, et identifie depuis 2016, pour le compte de la Bibliothèque nationale de France, les sites féministes à archiver au titre du dépôt légal numérique.

Pour autant, le rôle de l'association demeure déterminant et la répartition des missions et des responsabilités, le fonctionnement et l'existence même du CAF sont cadrés par une convention avec l'université d'Angers. Celle-ci lui garantit un rôle significatif dans la collecte et la gouvernance. Les fonds, à quelques exceptions près, sont sa propriété ; elle les confie par un contrat de dépôt au CAF. Elle assure l'essentiel du repérage des fonds grâce à son réseau, mène des collectes orales8 et favorise l'exploitation des fonds.

De fait, l'association a bien établi une chaîne archivistique, depuis la collecte jusqu'à la diffusion, au sein de laquelle elle a concédé le maillon intermédiaire à ses partenaires ; elle assure l'exploitation des archives à deux niveaux, comme supports d'enseignement et réservoirs de recherche. Elle ne s'en réserve pourtant pas l'usage : le contrat-type de don indique explicitement que les archives ont vocation à être communiquées.

Le centre présente donc concurremment des caractéristiques d'archives communautaires et d'autres relevant d'un centre institutionnel. Son orientation académique pourrait faire douter de son caractère militant. Il est pourtant perçu par les donatrices comme tel (Grailles, 2012) et c'est ce qui suscite leur confiance et un sentiment d'entre-soi. Se consacrer aux archives féministes est, par nature, un projet appréhendé comme féministe. Les féministes portent la voix de celles qu'on n'entend pas. Œuvrer à leur enregistrement est un projet militant.

Par comparaison, Ca la Dona présente des caractéristiques de centre communautaire beaucoup plus affirmées : centre associatif, il est entièrement animé par des bénévoles militantes féministes ; il se situe dans un lieu uniquement dédié aux activités féministes et pour partie non mixte ; le langage documentaire est spécialisé ; le périmètre de la collecte est plus ou moins limité aux collectifs accueillis et aux personnalités qui gravitent autour de ces collectifs. Les deux centres se rejoignent sur un point fondamental : leur ouverture large à tous les publics.

Ce n'est pas leur seul point commun. L'un et l'autre apparaissent au creux de la vague féministe. Leur objectif initial est d'archiver les deux premières vagues. L'un comme l'autre trouvent un fonctionnement de croisière au moment même où une troisième vague9 vient bousculer les pratiques de production et d'utilisation d'archives. Sont-ils un épiphénomène ou participent-ils d'un nouveau regard sur les archives et sur leurs usages ?

 

4 L'évolution des logiques d'usage

Le concept sociologique des logiques d'usage met l'accent sur l'intention avec laquelle les archives sont sollicitées, plus que sur les résultats produits. Grâce à lui, il est possible d'approcher les usages non historiens des archives et d'apprécier celles-ci comme espace de construction sociale des individus et des groupes (Marcilloux, 2013). Appliqué aux féminismes, que nous apprend-il de l'acte d'archiver, entre militantisme continué, affiliation identitaire et affirmation de soi ?

 

4.1 Nouvelles formes d'activisme archivistique

Selon Kate Eichhorn (2014), le tournant archivistique expérimenté aux États-Unis est orchestré par la génération des femmes nées au plus fort de la deuxième vague féministe ; il ménage, dans l'espace des archives (un espace qui s'est institutionnalisé dans des structures documentaires publiques) et dans l'archivage féministe, un "lieu" d'empowerment qui permet d'une part aux environnements universitaire et militant de se rejoindre, d'autre part la rencontre de plusieurs générations de féministes. En France et en Espagne, on assiste depuis les années 2000 et singulièrement dans la dernière décennie, à des actions qui placent les archives et la mémoire féministe au centre des revendications, des luttes sociales et des projets innovants.

En France, l'association Archives du Féminisme promeut un activisme archivistique à travers les différents canaux de communication entre les membres (bulletin annuel) et diffuse la connaissance des archives et de la mémoire féministe à travers des colloques (par exemple en 2018,  Les féministes et leurs archives) et des publications sur les archives féministes et l'histoire des femmes et du féminisme (collection Archives du féminisme aux Presses universitaires de Rennes). Elle incite également, à travers son site web, aux dons d'archives de personnalités et d'associations féministes. La FAQ "Donner ses archives" est représentative de cette démarche et constitue une référence en matière de collecte de fonds, en favorisant la confiance envers l'association et en affirmant un projet nettement féministe de conservation et de transmission de la mémoire. Le don de fonds permet à qui le fait de faire vivre, à travers d'autres, son propre militantisme et de répondre à un impératif de transmission. L'association a enfin initié la création et publication d'un Guide des sources de l'histoire du féminisme (Bard ; Metz ; Neveu, 2006), ainsi qu'une base des données accessible en ligne définie comme un "recensement régulièrement mis à jour concernant les sources de l'histoire du féminisme en France",10 qui permet la participation sociale à travers le signalement de nouveaux fonds, la correction et les modifications des données. Il s'agit d'un outil de centralisation des fonds éparpillés qui concourt à la visibilité de la mémoire féministe française et qui favorise une meilleure connaissance de l'histoire du féminisme.

La France a également vécu d'importantes campagnes publiques relatives aux archives et à la mémoire féministes, dont le champ de bataille se déploie sur Internet via l'utilisation des réseaux sociaux par certains groupes et militants. Celle qui a été organisée en 2017 à l'occasion du démantèlement imminent des collections de la Bibliothèque Marguerite Durand (BMD) pour les intégrer à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris est particulièrement significative. La pétition "Sauvons la BMD", portée par le collectif du même nom, a recueilli environ 11 000 signatures et 500 commentaires en différentes langues et de divers pays. L'argument fort de la campagne était le maintien de la BMD comme seule bibliothèque spécialisée en histoire des femmes et du féminisme en France. L'analyse de cette campagne et les commentaires permet de situer le vrai rôle que la bibliothèque joue dans la réalité sociale et dans l'imaginaire collectif : un lieu clef pour la recherche sur l'histoire des femmes et la conservation de la mémoire. Elle s'inscrit aussi au sein d'un "combat" féministe et singulièrement au cœur d'actions militantes de la troisième génération du féminisme (Blanconnier, 2019, pp. 63–64). C'est une action de participation collective en ligne qui s'avère être une arme de protestation et de visibilité intéressante et puissante : elle a finalement réussi à paralyser le projet et à maintenir l'intégrité et la singularité de la BMD.

Le débat le plus récent a porté sur la réévaluation de leurs fonds par les Archives nationales françaises et sur leur décision d'éliminer les bulletins anonymes d'avortement individuels, des bulletins rédigés par un médecin et adressés au ministère de la Santé, formant une série organique d'environ 400 ml depuis l'année 1975. Cet arbitrage, qui a été dévoilé à la presse par le syndicat CGT-Archives, a immédiatement provoqué une réaction d'opposition, tant de la part des militantes féministes que du monde universitaire. Là encore, la protestation a permis d'arrêter le projet, en positionnant le débat sur les politiques de conservation et d'élimination de la documentation, dépassant largement le milieu restreint de la profession d'archiviste pour pénétrer le tissu social.

L'idée d'archives sociales, qui pourraient s'épanouir dans le cadre de cet activisme des archives, a été clairement mise en évidence en Espagne à travers le projet Cuéntalo (2018), qui reprend l'idée des archives communautaires en ce qui concerne l'"empowerment" de l'archive et de la mémoire ; il s'agit, en l'occurrence, de conserver une campagne sur Twitter lancée par la journaliste et féministe Cristina Fallarás, en réponse à des condamnations extrêmement laxistes dans le procès de "la manada" (un cas de viol en réunion). De nouveau, comme dans le cas de la pétition BMD, les liens entre féminisme et activisme sur Internet sont bien visibles. Dans ce cas, l'Associació d'Arxivers i Gestors de Documents de Catalunya a répondu avec un projet d'archivage numérique communautaire innovant11 "susceptible d'aider dans la lutte contre les violences masculines, en tant que moyen de réparation et d'autonomisation civique" (Ruiz Gómez, 2019).

Enfin, la question des archives, au sens fort de la French Theory, s'invite aussi à l'agenda militant LGTBI. En France, par exemple, en 2002, deux pétitions, Vigitrans et Archilesb! ont protesté contre le poids du collectif gay dans toutes les discussions sur un futur centre LGTBI à Paris.

Les archives ne servent plus seulement à combler les silences de l'histoire. Elles deviennent un des lieux de l'agentivité (agentivity) car elles ont une valeur performative : elles font advenir une réalité.12

 

4.2 Des usages nouveaux pour des centres différents ?

Un des topiques des archives communautaires est de distinguer les archives mortes, assimilées aux institutions, des archives vivantes, celles de la communauté. Faire vivre ses archives doit se traduire dans des activités et des logiques d'usage a priori particulières.

Si on prend l'exemple du CAF, on peut observer qu'effectivement, il existe des projets qui cherchent à mobiliser la communauté féministe autour des fonds. On pense ici particulièrement à deux opérations autour du manuscrit autobiographique de Benoîte Groult Mon évasion :13 un "numérithon" (numérisation contributive) et une transcription collaborative.14

Au sein de Ca la Dona, un des indices de la vie des archives est le nombre de fonds ouverts et abondés. On notera une particularité : le centre de ressources gère les banderoles des manifestations qui ont été cataloguées soigneusement, mais qui peuvent toujours être empruntées pour un usage militant.

Pour autant, ces centres développent des stratégies assez classiques au service de logiques d'usage multiples : affiliation identitaire, légitimation, éducation, transmission intergénérationnelle. Les usages sont cependant en cours de diversification et ils ont été saisis, comme toutes les archives, par la reformulation en action dans les milieux artistiques et du spectacle vivant depuis le début des années 2000 (Simon, 2002 ; Marcilloux, 2013 ; 2014 ; Lemay ; Klein, 2014 ; Potin ; Rinuy ; Roullier, 2018).

Ainsi, des projets artistiques et militants vont jusqu'à revendiquer un oxymore : la fabrication d'archives. Entre expositions, interventions artistiques, performances et lieux virtuels s'affichant comme féministes, transféministes ou postféministes, l'intérêt est focalisé sur certaines typologies documentaires : les témoignages enregistrés, les documents audiovisuels et le matériel militant, particulièrement les affiches. "La création d'archives est en cours", affirme HERstory.15 Le collectif La Rage collecte des affiches féministes, lesbiennes, trans issues d'actions militantes diverses et, conjointement, organise des ateliers de création. L'exposition Arxiu Desencaixat coordonnée par Lucía Egaña Rojas au Musée d'art contemporain de Barcelone (MACBA) mélange documents d'archives, œuvres nouvelles, performances et conférences.

Les archives communautaires sont par essence des lieux de réassurance de soi et de l'identité individuelle et de groupe (Grailles, 2019). Elles permettent d'inscrire un parcours de vie dans une histoire souterraine que l'on fait ré-émerger. Cette logique est particulièrement à l'œuvre dans les projets de revendication d'une différence de genre et dans le transféminisme. On en trouvera des exemples dans les démarches de Diego Marchante (Archivo T et Gendernaut), de Sam Bourcier (collectif Archivacteurs Queer et Transféministes) ou du collectif QueerCode. Elles s'inscrivent clairement dans une logique de contre-archives, c'est-à-dire des archives de seconde génération (Iuso, 2000, p. 24), en opposition aux archives institutionnelles dites de première génération, perçues comme des instruments de légalisation et d'imposition des rapports sociaux. ll s'agit aussi de nouvelles activations des archives, fondées sur le besoin émotionnel des communautés queer d'avoir une histoire, sur la relation affective avec les documents d'archives pour construire leurs propres récits, en particulier avec les objets, les matériaux éphémères ou tout ce qui traditionnellement n'est pas considéré comme des archives (Cvetkovich, 2018). En ce sens, il est significatif que les archives conservées à Ca la Dona, en tant que lieu féministe, fassent l'objet de ces nouvelles médiations et appropriations par des projets politico-artistiques, comme l'Archivo desencajado, l'Archivo T ou les Fils feministes (Archiva Republicana, 2019), pas seulement comme sources historiques et de mémoire, mais au-delà. Le collectif d'artistes, FemArt, de Ca la Dona participe de ces initiatives de valorisation des archives féministes, en les considérant "molt més que un contenidor de papers en espera" et "com a provocador de noves mirades" (Fando [et al.], 2019).

Les initiatives typiques de l'activisme de la troisième vague ne se situent pas pour autant en porte-à-faux vis-à-vis de l'action des centres créés dans les années 1990. On peut même identifier une forme de filiation car elles s'appuient aussi sur les fonds précédemment collectés, se les réapproprient et leur donnent une nouvelle audience, comme pour les documents conservés par Ca la dona réutilisés par les projets Archivo T ou Fils feministes ou ceux du CAF réinvestis dans un atelier de QueerCode à Angers en 2019.

 

5 Conclusion

Notre projet était de vérifier si on pouvait identifier, dans les archives féministes au cours des années 2000, un tournant archivistique à l'image de ce que Kate Eichhorn a mis en évidence pour les États-Unis, à un moment où le concept d'archives communautaires émerge au plan international. La réponse s'avère nuancée. En effet, on n'observe pas de rupture, mais plutôt une intensification et une réappropriation dans une forme de continuité.

Les centres et les projets d'archivage féministes connaissent un degré d'institutionnalisation plus ou moins fort, s'inscrivent dans un contexte d'appui public et dans une normalisation progressive de leurs pratiques documentaires. Pour autant, leur degré d'autonomie reste un point essentiel. En effet, dès les années 1980, il existe des centres (Ca la Dona, maison des femmes) que l'on peut qualifier d'archives communautaires féministes. Les centres institutionnalisés et/ou communautaires sont fortement soutenus par des groupes dont l'activisme archivistique évolue au fil du temps dans les moyens et les outils. Ces communautés trouvent d'ailleurs dans les archives un ciment et un levier d'actions.

Le CAF et Ca la Dona incarnent deux familles de centres. Le militantisme du CAF est d'abord un activisme archivistique et, dans un second temps, un activisme féministe. Il se déploie dans un contexte universitaire et dans un cadre documentaire, celui des fonds spécialisés en bibliothèque : on pourrait le comparer à des centres universitaires comme la Feminist Archive North au Royaume-Uni. Mais c'est l'association qui contrôle l'essentiel de la collecte et de la diffusion. Ca la Dona suit plutôt un modèle de centre documentaire et archivistique associatif (en différenciant les deux types de patrimoine), intégré à un mouvement militant. Même si elle bénéficie d'aides publiques de la mairie, du gouvernement autonome ou de l'Institut Català de les Dones (ICD), elle contrôle et gère toutes les étapes de la chaîne archivistique et documentaire et archive principalement la production des collectifs accueillis et qui lui sont liés. On pourrait la rapprocher d'autres centres existants en Europe, plus dans une tradition italienne, tels que la Fondazione Elvira Badaracco.

Avec l'émergence d'une troisième vague féministe et du cyberféminisme, on pourrait croire que deux modèles sont désormais amenés à coexister : un modèle classique de centre d'archives qui collecte et communique des fonds dans le cadre de recherches individuelles ou collectives et dans un espace physique ; un modèle nouveau concrétisé dans des espaces virtuels, secondairement physiques, orienté vers la diffusion, où les documents d'archives féministes sont rassemblés à des fins artistiques, identitaires, récréatives. La réalité observée est autre et duelle. Au creux de la vague, mondes académique et militant se sont appuyés sur les politiques d'égalité femme-homme pour servir un projet : rendre visibles la vie et l'œuvre des femmes ainsi que leurs combats. En France, dans une période d'émiettement des féminismes, ce projet collectif pourrait sembler dépassé, contrairement à l'Espagne où la parole féministe porte largement. Or, force est de constater le lien entre des projets militants typiques de la troisième vague et ces centres anciens. Les matériaux patiemment rassemblés par Ca la Dona sont réutilisés, réinvestis, interprétés dans des projets transféministes ou postféministes. Pour Ca la Dona, les archives sont un lieu réel et symbolique de l'entre-soi où les militantes se sentent épaulées dans leur résistance, en sécurité, un trait d'union entre passé, présent et futur. À une échelle différente, le fait que le CAF représente un espace au sein de la bibliothèque universitaire d'Angers est aussi important. Une donatrice d'un fonds le résumait ainsi : "savoir où aller". D'une certaine manière, les projets en ligne et les expositions temporaires peuvent aujourd'hui se déployer et se démultiplier car les fondations sont assurées par leurs prédécesseurs.

Peut-on dès lors parler d'un tournant archivistique ? Sur le plan conceptuel, cela ne fait aucun doute. Le discours de la French Theory a peu à peu imprégné les acteurs et actrices féministes, prenant le pas sur le projet initial de visibilisassions. La revendication des traces n'est plus seulement un projet d'abolition de l'inégalité des femmes face à l'histoire ou de conservation des actions féministes. C'est désormais un projet de légitimation, de construction d'un espace mémoriel et d'agentivité. La valeur et l'importance qu'on donne aux archives personnelles, en archivistique, dans l'historiographie ou au sein des institutions de la mémoire, on l'a vu, peuvent aussi y contribuer. Ce tournant archivistique en Espagne et en France présente-t-il néanmoins des originalités par rapport à ce qui est décrit dans le monde anglo-saxon ? La réponse est assurément positive. On n'observe pas en effet de changement radical, mais au contraire une continuité et un élargissement des logiques d'usage. Les démarches ne sont pas exclusives les unes des autres, mais s'alimentent mutuellement.

 

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Notes

1 On retrouvera dans cet ouvrage un florilège très complet de tous les auteurs importants qui ont réfléchi à cette problématique, notamment Terry Cook, Verne Harris, Eric Ketelaar et Randall C. Jimmerson.

2 Expression employée plusieurs fois par Jacques Derrida (notamment Derrida, 2014), et reprise volontiers par les transféministes (Bourcier Sam [collectif Archivacteurs queer et transféministes], conférence donnée à l'École supérieure d'art et de design d'Angers, le 11 mars 2019).

3 Initialement programmée en 2018 et reportée en 2019, cette opération a donné des résultats peu probants, même si elle a été saisie par un certain nombre de services publics.

4 Les archives ont été spoliées par l'Allemagne nazie, puis pillées par l'URSS. La famille souhaitait les rendre accessibles dans un lieu explicitement lié au féminisme.

5 La Bibliothèque Marguerite Durand ne peut recevoir que de petits fonds (quelques dossiers). La Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (aujourd'hui La Contemporaine) accueille quelques fonds féministes, mais n'est pas spécialement dédiée à ce type de collecte.

6 Quelques archives électroniques ont été collectées, mais le centre n'est pas encore en capacité de les mettre à disposition.

7 Il faut en effet préciser que peu d'universités françaises disposent d'un service d'archives conservant des archives privées et que les fonds spécialisés en bibliothèque universitaire sont peu développés.

8 Le projet Témoigner pour le féminisme a permis entre 2006 et 2010 de rassembler 14 entretiens filmés, auxquels il faut ajouter les rushes de plusieurs films de Carole Roussopoulos. Il a été relancé en 2019.

9 Il faut prendre ici la désignation de troisième vague dans une acception volontairement large mettant l'accent sur "la pluralité du féminisme actuel et la mise en question du sujet politique du féminisme" (Bard, 2017).

10 <https://www.archivesdufeminisme.fr/le-guide-des-sources/>.  

11 En savoir plus, Vicenç Ruiz Gómez ; Aniol M. Vallès, "Cuéntalo : preservació, tractament i pluralització d'un fons documental social", La DaDa : diari digital de l'Associació d'Arxivers i Gestors de Documents de Catalunya. <https://arxivers.com/ladada/reportatge-cuentalo-preservacio-tractament-i-pluralitzacio-dun-fons-documental-social/>. [Consulté : 30/11/2019].

12 La performativité, dans la lignée de Judith Butler, est régulièrement évoquée. Par exemple, Sam Bourcier [collectif Archivacteurs queer et transféministes], conférence donnée à l'École supérieure d'art et de design d'Angers, le 11 mars 2019.

13 Benoîte Groult (1920–2016) est une écrivaine, journaliste et militante féministe française, autrice notamment d'un essai, Ainsi soit-elle, en 1975, et de nombreux écrits féministes.

14 Ces opérations ont été initiées par des chercheuses afin d'aboutir à une édition en ligne du dossier génétique de l'œuvre.

15 Site de Julie Crenn, critique d'art et commissaire d'exposition, et de Pascal Lièvre, plasticien.

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